Reproduction de l’interview Lyon1 – Automne 2011

Point de vue de Margaux Perrin, doctorante Lyon 1, au sein du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, sur le monde de la recherche.

 

  1. Pouvez-vous nous présenter votre parcours, ainsi que votre sujet de thèse?

Je suis en seconde année de thèse à l’université Lyon1 dans l’équipe Dynamique Cérébrale et Cognition du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon. J’ai fait tout mon cursus universitaire à Lyon1 : une licence de physiologie, et le master Neurosciences.

Mon sujet de thèse traite des Interfaces cerveau-machine (ICM). Grâce aux techniques de mesure de l’activité cérébrale en temps-réel (notamment l’électroencéphalogramme ou EEG), j’étudie les possibles interactions directes entre le cerveau humain et un ordinateur. Ces nouvelles interfaces permettent d’envisager de nombreuses applications en neurologie et en psychiatrie, à condition de pouvoir identifier les signaux cérébraux pertinents, que ce soit pour “commander une machine par la pensée” ou pour “modifier son propre état mental”. Mes travaux portent sur l’identification de tels signaux et la compréhension de leur évolution au cours de ce nouveau type d’interactions.

 

  1. Quel a été votre cheminement personnel pour faire une thèse et quels sont vos projets d’avenir ?

Au lycée, je voulais déjà faire de la recherche, mais pas vraiment dans le même domaine. Je voulais étudier les grands singes, et communiquer avec eux en leur apprenant le langage des signes. J’avais vu une émission télévisée sur Arte qui montrait Koko, une femelle gorille qui avait appris le langage des signes, et ça m’avait passionnée. C’est dans ce but que je suis venue à Lyon1 en licence de biologie.

Mais pendant ma licence, j’ai rencontré un éthologue à la retraite qui m’a fait comprendre que les places étaient vraiment très chères dans ce domaine, encore plus qu’ailleurs. Et puis j’ai réalisé que j’aimais trop les grands singes pour les étudier en cage en toute bonne conscience, et pas assez l’Afrique pour y passer ma vie pour les étudier dans leur habitat naturel. J’ai donc finalement dit adieu au métier de “Maitresse pour chimpanzés”, et j’ai regardé ce qu’il y avait autour de moi. J’ai hésité entre un master de neurosciences, et un concours pour faire du journalisme scientifique. J’ai choisi le master, pour continuer dans le monde de la recherche que je n’avais toujours pas vraiment découvert à bac +3.

J’ai fait un premier stage dans un laboratoire de recherche, un deuxième, un troisième, et de stage en stage, me voici en thèse.

De stage en stage, j’ai finalement appris à connaitre le monde de la recherche.

De stage en stage, j’ai fini par être déçue par cet univers, qui ne correspond pas à la représentation idéaliste et utopique que j’en avais  à 15 ans, et que je n’ai pas réussi à oublier.

C’est la raison pour laquelle je ne suis pas sure de vouloir continuer dans le monde de la recherche après ma thèse, bien que je sois reconnaissante de tout ce que celle-ci m’a apporté, et m’apporte chaque jour. Après ma thèse, j’aimerais éventuellement m’orienter vers la communication scientifique, peut-être travailler dans une association de médiation scientifique. Je crois toujours au pouvoir de la science, et plus généralement de la connaissance sur la société. Je suis convaincue que la recherche publique est fondamentale et que le monde a besoin de chercheurs motivés pour faire avancer les connaissances scientifiques. J’ai seulement des doutes sur le fait que je sois l’une d’entre eux.

 

  1. Le monde de la recherche correspond il à vos attentes ?

Comme je l’ai dit, le monde de la recherche est assez différent de l’idée que je m’en faisais. Je suis consciente que ma vision des choses est assez utopique mais pour moi les chercheurs devraient travailler uniquement au service de la Science. Ce que je veux dire par là, c’est qu’ils devraient coopérer, idéalement à travers le monde entier, pour faire avancer les connaissances, combattre les maladies, etc.
Mais au lieu de coopérer, les différentes équipes qui travaillent sur le même domaine sont le plus souvent en concurrence. Cela a un certain intérêt, notamment en terme de motivation, mais cela entraîne également des comportements condamnables lorsque certains chercheurs en viennent à bâcler un travail pour être le premier à publier, à voler des idées, ou à mettre des battons dans les roues des équipes concurrentes.
Au lieu de consacrer l’intégralité de leur temps à la recherche, les chercheurs perdent un temps considérable à monter des dossiers pour obtenir des subventions car les dotations récurrentes sont trop faibles pour faire de la recherche de qualité. Alors on remplit des dossiers, on passe devant des commissions, et lorsque le projet n’est pas sélectionné tout ce temps a été perdu. Et si seulement l’argent était consacré uniquement à la mise en place d’expériences… Mais non, car dans le domaine de la recherche, il faut payer pour être publié. Il faut payer pour lire les articles publiés par les chercheurs concurrents. Et les personnes qui relisent les articles avant publication et font des corrections sont des chercheurs, qui ne sont pas payés pour faire ce travail là. Je trouve cela complètement révoltant. Dans quel autre domaine que celui de la recherche faut-il payer pour être publié, alors que la revue vendra ensuite cet article à ses lecteurs, et qu’elle ne paie même pas les personnes qui font les corrections ?
Au lieu de faire de la recherche réactive, on est contraint de s’appuyer sur des travaux anciens de plusieurs années. Pourquoi ? Parce qu’il faut des mois et des mois pour publier un travail. On en arrive à des situations que je trouve aberrantes, où il est si difficile de publier que lorsqu’un article sort enfin dans une revue, l’expérimentation en question est terminée depuis 2 ans, la suivante est déjà terminée également et celle d’après commence déjà à se mettre en place. La conséquence c’est que les lecteurs, c’est à dire les autres chercheurs du même domaine, n’ont pas tous les éléments en mains pour prendre leurs décisions quant à leur propre recherche. Tout le monde prend un retard considérable à cause de ces délais.
Au lieu d’être évalués sur l’originalité et la pertinence de leurs idées, sur leur pédagogie, sur leur capacité à transmettre leurs connaissances en dehors du monde restreint de la recherche, les chercheurs sont évalués sur leurs publications. Le nombre de publications, la qualité des revues, le nombre de fois où les articles auront été cités par d’autres chercheurs… Cela a de nombreuses conséquences négatives. Pour publier à tout prix, certains chercheurs font marcher leurs relations pour ajouter leur nom sur n’importe quel article. D’autres prennent bien plus d’étudiants qu’ils ne peuvent en encadrer, et ne s’occupent pas d’eux correctement. D’autres encore vont jusqu’à se réserver la place de premier auteur au détriment de l’étudiant qui a fait la majorité du travail. Une autre conséquence de ce mode d’évaluation, c’est le manque de prise de risque dans la mise en place des expériences, de peur de ne pas avoir de résultat “publiable”. Car lorsque cela ne fonctionne pas, on ne peut pas le publier. Alors que ce serait tellement intéressant avant de se lancer dans une étude de savoir que quelqu’un l’a déjà fait, et que cela ne marche pas. Mais non, une absence de résultat n’est pas considéré comme un résultat, cela ne se publie pas. Le monde de la science perd là une énergie et des budgets considérables.

Précisons tout de même que les différents problèmes d’encadrements évoqués ci-dessus sont des choses que j’ai pu observer autour de moi, mais que j’ai la chance de ne jamais avoir vécu au sein de mon propre laboratoire.
Bien sur, à côté de cela, j’ai rencontré dans ce milieu des gens passionnants, et passionnés. Des gens toujours prêts à aider, toujours prêts à partager leurs connaissances. Des chercheurs impliqués à cent pour cent dans le suivi de leurs étudiants. Des gens intègres, consciencieux, respectueux. Des gens suffisamment impliqués pour continuer et se battre, quoi qu’il en soit.
Je ne pense pas que le monde de la recherche soit plus mauvais qu’un autre. Seulement j’attendais de lui que, de par sa nature, il soit bien meilleur.