“La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine… mène à la souffrance.”
Maître Yoda
Il y a quelques semaines, il m’est arrivé une expérience mémorable, mais pas dans le bon sens du terme. Je rentrais du travail, filant comme le vent sur mon velov électrique en direction de l’école de mon fils. Un peu en retard, je choisis de prendre un chemin plus court mais plus dur (car en pente, mais l’assistance électrique réduit ce paramètre) que le chemin habituel. Manque de bol, c’était sans compter qu’il n’y a pas de piste vélo dédiée sur cette avenue, les vélos étant sensés rouler au milieu des voitures, donc en l’occurrence dans les bouchons. À ma gauche, la double voix de bus me tend les bras. Les voitures me doublent en passant sur celle-ci, je ne vois pas de mal à faire de même.
Je roule donc à toute allure sur la voie de bus, tel Harry Potter sur son balai tentant d’attraper le vif d’or, lorsqu’un cycliste apparait soudain, déboulant à ma droite entre 2 voitures, perpendiculairement à moi. Surprise, je crie “Attention” pour éviter l’accident. Le cycliste s’arrête, me crie quelque chose, je passe, et tout aurait pu s’arrêter là.
Au feu suivant, toujours sur la voie de bus, j’entends qu’on m’apostrophe. Le monsieur m’avait suivi pour m’expliquer sa façon de penser. Que je n’avais rien à faire là, que quand on est en tort on ferme sa grande gueule. Je lui dis calmement que j’ai juste crié “attention” car j’ai eu peur. Il continue de m’insulter sans répit, rouler sur la voie de bus est inadmissible. Je laisse faire, mais au moment de se quitter, je ne peux m’empêcher de lâcher une petite pique : “je constate tout de même que vous roulez au même endroit que moi.” Certes, j’aurais pu m’abstenir, mais sa réponse fut pleine d’enseignements : “j’étais bien obligée pour vous rattraper”.
C’était donc si important pour lui de m’insulter que ça lui permettait de justifier l’infraction qu’il me reprochait. La preuve s’il en est, que le problème n’était pas du tout l’infraction. J’y ai réfléchi longtemps. Quel était le problème de fond ? S’était-il senti injustement agressé par mon “attention” ? Puis j’ai pensé à Yoda, et à l’effet de la peur sur l’être humain. La peur mène à la colère : il fallait trouver un coupable à cette peur, envers qui exprimer cette colère. Ça ne pouvait être lui-même le coupable (pourtant déboulant sur la voie de bus en se faufilant entre 2 voitures), c’est bien trop inconfortable d’accepter d’être soi-même en tort, d’avoir soi-même manqué de vigilance. Dans ce contexte, ça ne pouvait être que moi la coupable, et franchement, je reconnais sans problème ma part de responsabilité : je roulais beaucoup trop vite sur cette voie de bus où je n’aurais pas dû être. Le problème c’est que la colère mène à la haine, et que pour faire sortir cette colère il s’est senti forcé de me prendre en chasse pour m’insulter.
Qu’est ce que cette histoire nous enseigne (sinon de ne plus prendre ce chemin pour rentrer du boulot et d’être plus vigilante lorsque j’emprunte une voie de bus) ?
Je ne résiste pas à l’envie d’imaginer un monde où l’erreur serait acceptable. Où se tromper serait vu comme une opportunité d’apprendre et de s’améliorer. Où l’imperfection serait la norme.
Dans mon métier (conception de logiciels), on apprend que l’utilisateur n’a jamais tort, s’il n’y arrive pas c’est la faute du design. Or, le design, c’est nous qui l’avons créé. On cherche en permanence à constater nos mauvais choix et les imperfections de nos créations pour les améliorer, lors d’un atelier de co-conception, de la prise de feedback du client, d’une présentation à nos pairs ou d’un test utilisateurs.
Dans ce monde que j’imagine, ce monsieur aurait tout de même eu peur. Il aurait sans doute pensé “Olala, on a bien failli se rentrer dedans ! J’aurais du faire plus attention, je ferai mieux la prochaine fois. Elle aussi essaiera de faire mieux car elle aura appris de cette expérience, elle a dû avoir une sacrée peur également” (oui, ce monde que j’imagine s’appelle également Le monde des Bisounours). Et on serait reparti tous les deux, soulagés d’avoir évité l’accident, et riches d’une expérience nous ayant fait grandir. La peur aurait mené à l’apprentissage et à l’empathie plutôt qu’à la colère et la haine.
Alors en ce 2 janvier, j’aimerais proposer ce vœux pour 2024 : que nous soyons toutes et tous plus enclins à accepter et pardonner les erreurs du quotidien, les nôtres comme celles de nos semblables, à faire preuve d’indulgence envers soi-même et les autres car la perfection n’est pas un but à atteindre.
Et bonne année bien sûr !
PS : si vous pensez vous aussi que lorsqu’on est en tort on ferme sa grande gueule et que votre avis mérite d’être entendu, merci de l’exprimer avec toute la politesse dont vous êtes capable.