Récit de la publication d’un livre – Partie 2

La création

(si vous n’avez pas lu l’épisode 1, c’est ici)

Octobre 2018 – Mise en route & recherche utilisateur

Cela fait huit mois que l’idée d’un livre pour tout petits sur le consentement a germé dans ma tête. Mais que voulez-vous, j’ai repris le travail, je me suis mise à l’aquarelle sur mon temps libre, la vie a fait son œuvre, et l’idée est passée aux oubliettes. Enfin, si ça se trouve on en a parlé de temps en temps entre mars et octobre, j’ai oublié. Ma mémoire étant à peu près aussi fiable qu’un article de Valeurs Actuelles, appuyons-nous plutôt sur la technologie pour relater la suite des événements (merci le groupe WhatsApp “Une famille en or”) :

– Camille : Au fait ça en est où le projet de livre pour enfants inclusif ?

– Margaux : Nulle part 😔

– Camille : Moi je suis chaud

– Margaux : J’avais eu une idée de sujet je crois… Ah oui les bisous, mais du coup c’était plus sur le consentement qu’inclusif

– Camille : Bah ça peut être un truc sur le consentement avec des personnages racisés déjà

– Margaux : 👍

– Margaux : Ben go, on écrit l’histoire ce week-end !

– Camille : Moi je suis pas très fort en histoires je ferai des dessins plutôt

– Margaux : Ok

Trois jours plus tard, j’avais écrit la première version de l’histoire, Camille commençait à faire de la recherche graphique et on créait un nouveau groupe WhatsApp intitulé sobrement “Livre islamogauchiste”.

Camille a proposé un univers fantastique à base de monstres et d’animaux sauvages. D’une part parce qu’il estimait que ça ferait de plus jolies illustrations, d’autre part parce qu’il pensait que les enfants seraient plus amusés par un tel univers (et donc demanderaient plus à ce qu’on leur relise l’histoire).

Croquis de deux monstres à bisous et chatouilles
Monstre à bisous et monstre à chatouilles
Illustration d'Efia avec un ours
Premier croquis d’Efia avec un ours comme animal de compagnie

Bam, c’est là que l’ergonome en moi s’est réveillée!

– Margaux : Tu fais l’hypothèse qu’un enfant de 3 ans est plus attiré par un univers fantastique que réel. C’est intéressant, j’ai bien envie de vérifier cette hypothèse. Je vais demander aux gens que je connais avec des enfants de cet âge là.

J’ai immédiatement fait un rapide sondage sur Facebook, et les résultats étaient sans appel.

Sondage express dans Facebook

Top 3 des choses qui plaisent aux enfants de 2-3 ans :

  • les éléments interactifs (livre puzzle, éléments qui bougent, pop-up, musique)
  • les situations de la vie quotidienne
  • les animaux

À partir de 4-5 ans, les enfants semblent prendre davantage goût aux situations loufoques. Néanmoins, personne ne parlait de monde très fantastique avant 6 ans, ils faisaient plus références à des éléments fantaisistes au sein d’une histoire réaliste (par exemple un livre où le héros voit des camions de chantier cuisiner un gâteau alors qu’en réalité c’est sa maman qui cuisine).

Les animaux ça ne collait pas avec l’origine du projet — un livre premier âge avec des petites filles dedans. Les éléments interactifs ça paraissait chaud à produire (on a creusé quelques pistes quand même, mais ça nous a semblé trop compliqué, d’autant qu’on envisageait sérieusement l’auto-édition).

Du coup, il ne restait plus que les situations de la vie quotidienne, et ça tombait plutôt bien puisque c’était ce que mon récit mettait en scène. Camille était très légèrement chafouin1, car ce qu’il n’avait pas dit jusque-là c’est qu’il n’aime pas trop dessiner les personnages (lui, son délire c’est plus les jungles et les villes désertes), et que ce qui l’avait motivé à relancer le sujet c’était de dessiner un monstre dans le cadre d’un projet pro. 

Fanart autour du jeu vidéo Oddword, par Camille Perrin
Habana, par Camille Perrin

Mais il est cool mon frérot, il m’a proposé de lui montrer une sélection de livres adaptés à cet âge là et de réaliser une maquette de ce que j’avais en tête (i.e. un storyboard) pour qu’il puisse se faire une idée plus claire du volume de travail, avant de conclure par : “je suis chaud pour essayer et si ça me gonfle ou que j’y arrive pas on verra bien 😬”

Novembre 2018 – Recherche graphique & maquettage

Me voilà donc à griffonner sur mon carnet. Le niveau zéro de la maquette basse fidélité.

Tadam! (oui alors c’est pas ma plus belle réalisation artistique, l’artistiquerie était délégué à 100% sur ce projet).

Et Camille l’a transformé en une première maquette, disons… “moyenne fidélité”.

Mes parents et moi avons fait des retours sur la lumière (trop sombre pour un appartement d’assistante maternelle) et la composition. On a vite abouti à une version très proche de la composition finale des pages.

En parallèle, il avait travaillé le design des personnages, d’abord des enfants, puis de la nounou. 

Premier croquis des 3 enfants
2ème croquis
2ème croquis des trois enfants et de la nounou

Sans scrupule, je me suis foutue de sa gueule à propos de la dentition du marmot  sur la 1ère image — mon fils venait de sortir les 6 premières et clairement ça ne commence pas par là — mais à part ça, c’était quand même la grosse teuf dans ma tête

C’est le personnage de l’assistante maternelle qui a le plus évolué : mince, brune et sans fantaisie lors des premiers croquis, elle est devenue grosse (car pourquoi pas?), maghrébine (car ça reflète davantage la réalité, en tout cas dans mon quartier, et aussi pourquoi pas), et fantasque (pour lui donner du caractère et sortir un peu du stéréotype de la grosse nourrice asexuée). 

Novembre 2018 à pfffiou – Évolution du texte

En vrai, le texte n’a pas tant évolué que ça, mais il n’a abouti à sa version finale que la veille de l’envoi à l’imprimeur.

Les grosses modifications ont été les suivantes :

1 – Simplification des phrases

J’ai tout d’abord simplifié les phrases qui semblaient trop longues pour des enfants de 2-3 ans. Je me suis imposé une contrainte complètement arbitraire : chaque phrase ne devait pas dépasser une ligne (dans Google doc en police Arial 11).

Ainsi une phrase comme :

Plus tard, alors que A est tranquillement en train de jouer aux petites voitures avec B, C lui saute dessus pour lui faire des chatouilles!

a été redécoupé en deux phrases distinctes :

Plus tard, A joue aux petites voitures avec B.
Soudain, C lui saute dessus pour lui faire des chatouilles

Nous avons également eu un débat avec ma famille sur l’utilisation du mot “frustration”. C’est un mot un peu complexe pour un enfant de deux ans, que j’hésitais à changer sur suggestion de ma mère. En même temps, j’avais envie de conserver de la granularité émotionnelle. C’est une notion dont j’ai entendu parler pour la 1ère fois lors d’une conférence de Carine Lallemand sur l’ux design (j’en parlais très rapidement ici). C’est important d’identifier les émotions que l’on souhaite générer chez l’utilisateur, et pour cela de développer son vocabulaire au-delà de “content”, “triste”, “apeuré” et “en colère”.

C’est également une notion qu’on retrouve beaucoup dans l’éducation dite non violente/ bienveillante/ positive/ respectueuse/ [insérer ici le terme qui vous convient]. D’une part du côté de l’enfant, on suppose qu’un enfant qui connaît les différentes émotions arrive mieux à vivre avec (et donc fait moins de crises, hip hip hip hourra!). D’autre part du côté du futur parent : on observe que les parents dont les émotions n’ont pas été accueillies et respectées lorsqu’ils étaient enfants (à qui on a répété “arrête de pleurer comme une fillette” “ça va, c’est rien” “ça suffit, je veux plus t’entendre” et autres joyeusetés) ont plus de mal à faire sortir des pâquerettes et des arc-en-ciels de leur bouche quand leurs propres enfants se roulent par terre au super U.

Au final, quand ma mère m’a fait remarquer que les enfants ressentent très souvent de la frustration sans qu’on ne la nomme, cela m’a donné encore plus envie d’utiliser ce mot. Si c’est l’occasion pour les parents d’expliquer “ça veut dire quoi frustré?”, je trouve ça super. En plus, un autre élément qui était sorti du sondage Facebook était que les enfants apprécient les histoires qui parlent des émotions. Bingo!

2 – Modification des prénoms

Les prénoms ont été modifiés plusieurs fois. Dans le premier jet, j’avais choisi des prénoms de gens que je connaissais : le petit garçon s’appelait Soan (comme mon fils), la petite fille noire s’appelait Iliana (comme la fille de notre assistante maternelle), et l’assmat s’appelait Sabrina (comme notre assistante maternelle).

Dans un second temps, j’ai changé Iliana par Amina : j’adore toujours autant le prénom Iliana à l’oral, mais à l’écrit mon frère et mon père le remplaçaient très souvent par Liliana. Le i majuscule étant difficile à lire, la confusion était trop risquée. Il a finalement évolué en Efia beaucoup plus tard, alors qu’on cherchait à retirer un prénom finissant par A, et que j’ai eu un coup de cœur pour ce prénom. Tant pis pour le A.

Sabrina allait donc changer aussi, pour éviter d’avoir deux prénoms en A (et pour éviter que notre assmat ne se reconnaisse dedans : physiquement, elle n’a vraiment rien à voir avec l’illustration). Après une longue recherche et de nombreux échanges avec Camille, nous avons choisi Nawelle, qui nous plaisait à tous les deux. 

Pour le petit garçon, je ne voulais pas conserver le prénom de mon fils (imaginez la jalousie si j’ai un 2ème enfant plus tard et que je ne fais jamais de 2nd livre?). J’ai recherché un prénom à consonance asiatique, et j’ai été inspirée par les réseaux sociaux. Bao est le prénom de la fille de la personne que je suivais le plus sur Instagram à cette époque-là : une maman qui enseigne la langue des signes aux parents qui souhaitent communiquer avec leur bébé (on a beaucoup pratiqué avec Soan, c’était super, je ne peux que vous recommander le compte @littlebunbao). Et il s’avère que Bao est un prénom mixte, voire même plus masculin que féminin. C’était parfait.

3 – Modification pour coller à la mise en page

Quand Camille a fait la première mise en page du livre pour l’envoyer à des éditeurs, il a légèrement retravaillé le texte pour que ça soit plus harmonieux visuellement. En particulier, il a inversé deux pages, et a modifié certaines phrases pour qu’elles fassent référence aux illustrations. Par exemple “Efia adore faire des bisous” s’est transformé en “Elle c’est Efia. Elle adore faire des bisous”. 

4 – Corrections mineures

Enfin, au moment d’envoyer à l’imprimeur, notre éditeur m’a appelé pour me proposer des petites corrections (olala le spoiler de fouuuu, oui, on a trouvé un éditeur! ). En particulier, la page finale expliquant ce que c’est que le consentement, contenait beaucoup de répétitions. Je l’avais écrite en décalé, avec moins d’attention peut-être. Le texte a donc subi sa dernière modification en octobre 2020.

Conclusion

En parallèle de cela, Camille avait continué à dessiner les illustrations de chaque page, à nous les soumettre, à les corriger, à nous proposer 3 versions de la même chose avec un micro-poil de cul dessiné différemment, à retravailler encore en décrétant “y a encore un truc qui me plait pas”… C’est pas qu’il est perfectionniste le frangin, mais un peu quand même. En même temps, quand on voit le résultat final, on se plaint pas!

Dans le prochain épisode : la recherche d’un éditeur, la création d’un prototype, un sondage biaisé et le choix du titre!


1 La rumeur raconte que chafouin ne voudrait pas dire “contrarié” mais plutôt “sournois”. En l’occurrence, comme c’est légèrement sournois d’avoir caché la vraie raison de pourquoi il voulait un univers fantastique, je pense que ce mot est très adapté. Mouahahah.

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